Cherche auteure très peu servi

Le 20 février 2012

Ma chère amie,

J’espère que tu me pardonneras de ne pas t’avoir donné de nouvelles depuis maintenant quelques semaines.

Je t’avais prévenue que j’entrais dans une folle période de révisions pour cette dernière année de licence que j’aimerais réussir à finir, tellement j’ai l’impression qu’il faudra bientôt tourner la page de l’un peu trop scolaire pour moi, comme si j’en avais un peu marre, finalement, qu’on me prenne encore pour un élève qui doit juste apprendre ses leçons et les restituer presque par cœur. Oh, je sais que la plupart des exercices qu’on nous demande de réaliser nécessitent de savoir organiser notre discours et, en premier lieu, notre démonstration, mais je me lasse de prévoir à l’avance qu’il faudra introduire, développer et finir en rappelant les éléments essentiels de notre introduction, tout ça, en moins de quatre heures. J’ai envie de passer à autre chose.

Cela fait déjà pas mal de temps que les étudiants qui, comme moi, se posent la question de la poursuite des études vers un niveau supérieur, interrogent les anciens qui viennent beaucoup moins souvent que nous sur les forums, mais qui répondent très gentiment à nos demandes. Ils ont, notamment, et à la surprise générale, transgressé quelques interdits en nous envoyant les cours qu’ils ont suivis, et même s’ils nous répètent que l’université leur a bien rappelé que les cours étaient la propriété exclusive des enseignants et qu’ils ne devaient en aucun cas circuler en dehors de nos échanges privés, ils sont, au fond, d’accord avec nous pour dire que nous ne saurions pas faire de choix éclairé sans une juste connaissance de quelques contenus et de quelques formulations de sujets qui nous attendent l’année prochaine. Je suis toujours effaré de voir qu’à l’heure où l’on pense le partage gratuit de toutes les données essentielles aux savoirs et à leur apprentissage, on écrive encore, à l’université, le scénario des castes en faisant de seulement quelques-uns d’entre nous (en l’occurrence, ceux qui ont payé), des sortes de privilégiés qui auront le droit d’accès à ce qui rend à la fois individuellement plus conscient et socialement plus performant.

Je continue d’admirer cette merveilleuse solidarité estudiantine que j’ai déjà trouvée à maintes reprises, à chaque rentrée, puis à chaque échéance évaluative et, naturellement, quand nous étions en train de préparer les examens de validation qui sont tous, ici, réunis en fin d’année et font que nos mois de mai sont, depuis plusieurs années, de longs couloirs de solitude où il est bon, parfois, de trouver quelques coudes de camarades auprès desquels se serrer.

J’ai donc réussi à parcourir des cours de master, et je dois dire que je trouve ça tout à fait grisant. Cela n’a presque rien à voir avec ce que nous allons bientôt quitter. Du coup, j’ai commencé à regarder ce qu’il faudrait faire si mon entrée dans ce niveau devenait de l’ordre de l’envisageable (il faut une sacrée moyenne générale, tout de même, mais espérons !), et je n’avais pas réalisé qu’il faudrait réfléchir aussi vite, car figure-toi que la validation de notre inscription est soumise à l’évaluation d’une commission qui se réunit quelques jours après la publication des résultats. Il faudra alors que nous ayons un sujet de recherche et l’acceptation d’un directeur de mémoire qui en suivra les travaux. Tu vas rire, mais je n’ai pas trouvé l’onglet « How to find un sujet de recherche », et je suis totalement paniqué.

Depuis plus de trois semaines, je partage mon temps entre réviser et fouiller dans tout ce que je peux trouver afin que surgisse une idée.

Il est clair que j’aimerais beaucoup que mon sujet tourne autour d’une certaine période de l’histoire littéraire, tu t’en doutes, mais quand je vois tous les livres dont c’est le principal sujet, je me dis que ce serait certainement impossible, déjà, de seulement tous les parcourir (il faudrait deux vies) pour, en plus, réussir à n’en faire qu’une piètre synthèse de cent pages. Pourtant, je persiste. Je ne peux pas m’en empêcher. Je pense même que si ce n’est pas là que je trouve, je n’envisagerai rien d’autre que d’aller postuler chez Mac Do. Je ne sais pas trop ce qui se passe. La période m’attire comme un aimant, comme si elle avait quelque chose à me dire. Je sais qu’il n’y a qu’à toi que je peux dévoiler des impressions au bord de l’ésotérisme. En plus, et de cela aussi, j’imagine que tu t’en doutes, j’aimerais trouver une écriture de femme. J’ai découvert une très belle auteure, l’autre jour, mais son intégrale tient en un seul volume parce que la dame a choisi de mettre fin à ses jours avant de mettre de l’ordre dans ses brouillons. Au mieux, je pourrai en faire deux pages, et c’est tout.

Et puis (OK, je réalise en te l’écrivant que le nombre de critères est exponentiel), il y a ce professeur dont je t’ai parlé à maintes reprises. C’est un grand spécialiste de cette période. Ses cours sont une bible. Il y a ici une sorte de fan-girling qui s’est formé autour de lui. Tout le monde l’appelle Black Boy. J’imagine que ce surnom vient de loin. J’avoue que je ne me l’explique pas vraiment, parce qu’en fait, il est constamment habillé en blanc… Je me suis ridiculisé une première fois devant lui en lui offrant un devoir hors-sujet où il a eu la gentillesse de me mettre quelques points pour le temps que j’ai passé à l’écrire. Son « vous avez eu une bonne lecture de l’œuvre », ressemblant presque à un « dommage que vous n’ayez pas traité le sujet », m’a encouragé et je me suis rattrapé sur le devoir suivant où il a adoré, apparemment, que je décrive l’omniscience de l’auteur. C’est avec lui que je voudrais travailler. Si je pouvais trouver un sujet qui l’intéresse, je serais juste aux anges qu’il accepte de diriger mes travaux.

Donc, dans mes différents errements, j’ai à nouveau fait le tour de mes librairies préférées comme pour me balader à la fois dans tout ce que je peux maintenant mieux repérer grâce à ces quelques années d’études, mais aussi dans tout ce que je ne connais pas et que je ne lirai jamais, à part, — tu sais comme tout cela me passionne —, ces auteurs encore vivants dont je suis les publications années après années jusqu’à lire tout ce qu’ils écrivent. Je veux arriver à sentir leur progression, comprendre comment leur style change, pourquoi ils évoquent tel ou tel sujet, pourquoi, d’un seul coup, un de leurs livres s’arrache, un autre se range dans le carton des invendus, pourquoi l’un devient célèbre, pourquoi l’autre est instantanément oublié au point de devoir faire les vieilles brocantes pour le trouver.

Il y en a un parmi eux que je viens à nouveau d’intercepter. Cet auteur-là n’est pas facile à trouver. Il publie des romans en son nom, mais aussi, des traductions. C’est même par ce biais que je l’ai d’abord découvert. J’adore ses traductions et les auteurs qu’il traduit. Il édite aussi, comme une sorte de directeur de collection. C’est dingue. Avec tout ce qu’il fait, j’imagine qu’il a à sa disposition toute une entreprise de ghostwriters. J’ai beau essayer de calculer, cela ne me semble pas possible de publier autant. Pour couronner le tout, il a un blog où il fait des critiques de textes contemporains. Comment fait-il pour avoir autant lu et écrit en seulement cinquante années de vie ?

Je prends un livre sur l’une des étagères de la librairie où je suis sûr de tomber un coup sur trois sur un livre que je vais acheter, un livre qui m’attire parce que c’est justement lui (ou son ghostwriter forty-five) qui en a écrit la postface. Comme je veux posséder tout de ce qu’il a écrit, de toute façon, je sais que je vais emporter ce livre, et voilà que surgit une série de coïncidences comme j’aime les découvrir : D’abord, BINGO, c’est une femme et, RE-BINGO, elle a publié exactement dans la période qui m’intéresse. Je me dis : « Damned, encore quelqu’un qui m’était passé sous le nez sans que je m’en aperçoive ». Je feuillette le livre chez le libraire. Je vois qu’il y a une originalité dans le texte qui attire mon regard, dans la manière de disposer certains mots, de les souligner par la forme avec de drôles de mises en majuscules au milieu de la page. Avec d’autres étrangetés, c’est un type d’écriture que je n’avais jamais vu et qui me semble très moderne pour son époque. Un roman. Une héroïne qui commence par annoncer son suicide. Ça a l’air complètement déjanté. Je sors de la librairie fiévreux, rentre chez moi en dévorant tout ce que le trajet me permet de lire, d’un seul trait, riant aux éclats dans la foule triste, prenant déjà quelques photos de pages que j’ai envie d’envoyer instantanément au monde entier. Je fouille dans mes bouquins. Aucun ne parle de cette auteure. Sur le WEB, deux trois liens qui ne disent pas grand chose. Rien non plus à la case “recherche universitaire en cours”. Quelques romans publiés. Une biographie. Je vais essayer de tout me procurer le plus rapidement possible.

Tout cela me rend hystérique.

S’il y a là un sujet que je pourrais exploiter, je vais faire une demande de master et contacter Black Boy. C’est, je ne sais pas, comme plein de perspectives qui toutes m’impressionnent tellement que j’en suis déjà à plusieurs insomnies consécutives.

Je te tiens vite au courant.

Mille pensées.


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