Bon Dieu, mais c’est bien sûr !

Le 11 mars 2012

Ma chère amie,

J’ai reçu la biographie. J’ai évidemment commencé à la lire, comme un collégien, en partant du début, ce qui m’a un peu rassuré. Je vais pouvoir apparemment la raccrocher au mouvement qui m’intéresse, même si, apparemment, ce ne sera pas simple. L’impression que j’ai, comme ça, c’est qu’elle aurait été à chaque fois aux portes de la gloire, soutenue par les plus grands noms de l’époque, en compétition dans les plus grands concours. Elle a vendu un nombre tout à fait dérisoire de livres de son vivant et puis, — à cette époque, c’est si étonnant —, il ne semble pas qu’elle ait fait d’autres tentatives quand son éditeur a décidé de ne plus rien défendre d’elle, presque trente ans avant sa mort, alors qu’elle écrivait encore. Elle serait presque morte, comme on naît, prématurément. Ma lecture un peu scolaire a vite été déviée vers une autre, sans doute happé par une forme d’impatience d’en savoir vite un peu plus sur le style, le contenu, pensant certainement que j’aurais tout le temps de revenir sur des éléments biographiques quand j’en aurais besoin. J’ai d’abord vu défiler des titres de romans différents de ceux qui ont été publiés. Je ne me suis pas encore amusé à les compter, mais c’est tout à fait vertigineux. Bêtement, je les cherche sur le WEB. Il n’en est fait mention nulle part ailleurs…

Je ne pourrais pas te dire si cette biographie m’aide à mieux la rencontrer. Bien-sûr, je découvre une famille, un récit de vie quelque peu chaotique, quelque chose qui ne me semble pas très clair, évoquant à la fois une vie d’exils, réalisés ou rêvés, et un enfermement. Je m’en doutais un peu, la nouveauté, ou plutôt, la singularité, est sans doute à l’origine de son insuccès, mais il semble que l’écriture elle-même rejette ses contemporains. Cela confirme aussi ce que je t’écrivais quand j’ai vu qu’elle caricaturait des figures qu’à son époque on admirait. Tout parle de sang neuf, de concision, dans les thèmes, dans les formes, à contre-courant de tous les courants. Des dates s’inscrivent dans ma mémoire, puis se mélangent. Je n’en fais pas encore le relevé, car je suis attiré par d’autres impressions. Il y a beaucoup de citations. Je les parcours, sans même lire ce qui les précède ou les suit. J’ai besoin d’être avec vous. Partout, je lis la peur et, comme dans le roman que j’ai, l’inquiétude. Il est beaucoup question du roman, du personnage. Des mots se heurtent à l’incompréhension, puis c’est une pluie de douceur désolée. Elle a bien été persécutée. Un procès, aussi, qu’elle aurait perdu. Un besoin de se justifier, socialement, dans un poème intégralement reproduit.

Elle a été fortement influencée par la littérature américaine. Il y en a certains, dans la liste, que je connais déjà, mais je ne les ai lus qu’en français. Cela fait déjà quelques mois que j’essaie de lire la littérature anglo-saxonne dans sa langue originale, comme je le fais déjà en allemand pour la littérature germanophone. Pour les textes disons plus abordables, en ce qui concerne l’allemand, ça va encore. Pour des textes plus littéraires, je vois bien qu’il faut un autre niveau de maîtrise de la langue, et que j’en suis extrêmement loin à propos de l’anglais que je bafouille comme un français. Je ne sais pas où ira cette recherche, mais si je dois lire ces auteurs, il faudra que je trouve un moyen de me perfectionner. Je suis allé en feuilleter quelques-uns, puis, évidemment, j’en ai acheté. Au bout de trois phrases, pour le moment, je ne comprends plus rien, et je serais bien incapable d’aller déceler quelque influence sur quoi que ce soit… J’accroche donc un nouveau post-it dans la to-do-list : to improve my English skills.

La très grande nouvelle, tout de même, qui explique aussi en partie pourquoi j’ai immédiatement lâché le livre pour venir t’écrire, c’est que j’ai enfin découvert ce qu’était le GRP. J’ai dû tellement hurler de joie en lisant ces pages qui confirmaient qu’il y avait bien là un code à déchiffrer que tout mon quartier a dû croire que je refaisais la coupe du monde de football chez moi. Je crois que c’est un excellent présage d’avoir été ainsi attiré par un détail, une dissonance à laquelle j’ai été très sensible, aussi, bien évidemment, parce que je n’avais rien d’autre sous la dent et qu’il a bien fallu que j’essore le texte que j’avais jusqu’à ce qu’il me révèle un mystère qu’il contiendrait. Il a beau se passer plusieurs jours à chaque fois, — mais n’est-ce pas là une manifestation tout à fait naturelle du temps incompressible de la lecture ? —, je trouve que ces petites confirmations arrivent extrêmement rapidement. J’ai replongé dans le roman avec avidité, fier d’avoir déjà un nouveau filtre de lecture, criant plusieurs fois le Bon Dieu, mais c’est bien-sûr du commissaire Bourrel comme si j’étais sur le point de résoudre une énigme. Dans chaque phrase que je n’aurais pas comprise, maintenant, je me mets à espérer qu’il y aura un élément de cet ordre à trouver, alors, je les souligne, je les entoure. Toutes les ruptures dans le texte deviennent autant d’objets qu’il faudra que je recherche, surtout que cette première (enfin, j’espère que c’est seulement une première et qu’il y en a ainsi mille autres à déceler) fait un lien entre fiction et réalité, parce que le GRP était une association qu’elle avait créée avec son fils pour faire elle aussi son manifeste et éditer une revue dans laquelle elle revendiquait d’avoir fait naître une nouvelle forme littéraire, en marge du Temps. Le roman comme fiction du réel. Ce tourbillon infernal qui nous lie aux premiers auteurs. Comme l’œuf et la poule. À ne jamais savoir qui a créé l’autre. Si nous ne sommes pas, tout simplement, la somme des romans qui nous ont précédés. Comme je comprends déjà mieux ces funérailles perpétuelles et comme je regrette de ne pas avoir commandé tout ce qui était disponible. Je serais en train de dévorer des centaines de milliers de mots alors que je dois me contenter de mes seules deux cents pages, déjà tant de fois relues, que le livre ne ressemble plus à rien.

Cependant, je m’oblige à ne pas lire, dans la biographie, ces sortes de notes de lecture concernant tous les romans. Oui, je sais, et je t’entends d’ici me rappeler que je viens de t’écrire que j’avais parcouru la plupart des citations. Ça, c’est parce qu’il suffit d’y plonger un œil et la phrase t’emporte sans que tu t’en sois rendu compte, te laissant dans une atmosphère sensible que tu n’avais encore jamais traversée. Là, je ne te parle que des présentations, bref, de ce qu’en dit le biographe. En fait, la même impression que celle qui a accompagné ces quelques premières années d’étude me saisit : à chaque fois que je lis un papier sur un sujet, j’ai le sentiment de ne pas en savoir assez pour me faire ma propre opinion, comme si je ne m’autorisais ni à juger ce qui est écrit, ni même à citer un ouvrage sans l’avoir lu moi-même, qu’il soit roman ou essai, et même si la personne écrivant l’analyse — là, évidemment, je te parle surtout des cours — en dit suffisamment pour qu’il suffise que je recopie la citation pour me l’approprier définitivement. Non seulement j’achète l’ouvrage, mais je le lis en entier, de peur qu’il y ait un contresens, ou plutôt, un autre sens, qui aurait échappé à celle ou celui qui l’a exporté de son contexte. J’entends tellement de contradictions à partir, parfois, d’une seule et même phrase, des chamailles d’érudits, « vous n’avez rien compris, vous avez mal lu, vous n’avez lu ni le début, ni la fin, ni le livre suivant, ni l’analyse d’untel, ni la critique d’un autre, vous n’avez pas vu telle émission qui en parle admirablement, acheté tel magazine, rencontré l’auteur ». Tu connais mon grand intérêt pour la politique. Dans ce domaine, le jeu médiatique est truffé de ce genre de joutes verbales. J’avoue que la fac ne m’a pas beaucoup rassuré sur ce point, car même entre étudiants, il arrive qu’il y ait des débats impressionnants où chacun semble plus en savoir qu’un autre, à tel point que j’ose à peine sortir une référence que j’aurais moi-même formulée. Je ne voudrais pas fixer une opinion que je devrais contredire plus tard en découvrant par moi-même les romans en question et je ne suis donc pas surpris qu’avec seulement ces quelques repères données par ce que je suis en train de lire, j’aie envie, encore plus à présent que je suis intimement persuadé qu’il y a là une mine d’or encore inexplorée, de me procurer la moindre liste de courses qu’elle aurait écrite.

Je me laisse encore quelques jours pour faire des recherches auprès des librairies et des bouquinistes. J’irai aussi au salon du livre à la fin de la semaine prochaine. Après, c’est décidé, je passe au WEB, et cette fois-ci, sans mesure, je clique sur COMMANDER.

Mille pensées.


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